15 décembre 1969.
Dans la crypte des Invalides le corps de l'Aiglon est placé auprès de son père.
En accord avec le prince Napoléon, le gouvernement a pris la décision de placer le lourd cercueil de bronze du fils de l'Empereur dans la crypte même du dôme des Invalides, à deux pas du sarcophage de porphyre, ou plutôt de quartz aventurine, où, quoique l'affirme actuellement un certain fantaisiste, Napoléon, et non son maître d'hôtel Cipriani, dort de son dernier sommeil.
Le retour des cendres de l'Aiglon en France avait déjà été demandé par Napoléon III. L'issu des pourparlers paraissait si certaine que des affiches avaient été préparées annonçant "l'entrée triomphale des cendres de Napoléon II, roi de Rome dans la ville de Paris", et le départ pour Vienne "d'un cortège d'hommes illustres envoyés pour recevoir ce dépôt précieux".
Mais l'empereur François-Joseph, qui, tout enfant, avait été tenu par l'Aiglon sur ses genoux, rompit la négociation sous prétexte que "le duc de Reichstadt reposait à Vienne à côté des membres de sa famille". Le neveu du duc de Reichstadt considérait en somme le fils de MArie-Louise comme étant né de "père inconnu"...
Il fallut, pour que le corps de l'Aiglon revienne en France, l"affreuse défaite de 1940. Hitler avait pensé que la politique de collaboration ferait un nouveau pas si le maréchal Pétain se trouvait obligé de se rendre à Paris pour recevoir, des mains du Führer, le corps du fils de Napoléon, c'est pourquoi, cent ans jour pour jour après le retour de Sainte-Hélène devait avoir lieu le retour de Vienne, or, le 13 décembre, le maréchal se séparait de Pierre Laval : les rapports de Vichy avec Berlin devinrent de glace et le maréchal Pétain se contenta d'écrire ce message aux Parisiens : "Entre le mélancolique destin du duc de Reichstadt, prisonnier dans sa propre famille et le destin cruel de la France, exilée chez elle par le sort des armes, l'Histoire marquera une émouvante analogie. Heureuse ou meurtrie, triomphante ou vaincue, la France se recueille avec foi devant ceux qui furent, au cours des siècles, les artisans de sa gloire".
C'est en pleine nuit, sous la neige, dans un Paris rendu alors désert par le couvre-feu, que le corps du prisonnier de Vienne, placé sur une prolonge d'artillerie accroché à un tracteur à chenilles, se rendit de la gare de l'Est aux Invalides.
Devant la grille, les soldats allemands laissèrent la place aux soldats français, qui déposèrent le lourd cercueil devant l'autel, au-dessus du tombeau où, depuis un siècle, Napoléon attendait son fils. Des gardes républicains en grande tenue, cette tenue qui rappelle celle portée par les soldats de la Grande Armée, commencèrent leur garde en veillant sur le petit colonel à l'uniforme blanc dont le long cercueil de bronze disparaissait presque sous les plis d'un vaste drapeau tricolore.
Le surlendemain, le corps fut déposé au pied du tombeau de son oncle, le roi Jérôme. Il y demeura vingt-neuf années, puisque le 15 décembre 1969, portée par les gardes républicains, l'Aiglon a été placé dans la cella qui s'ouvre au centre de la galerie circulaire du Tombeau.
L'architecte Visconti avait baptisé la petite pièce le Reliquaire, car l'épée d'Austerlitz, le chapeau d'Eylau, le grand coffret de la légion d'Honneur et la clef du tombeau y étaient déposés. Le cercueil du fils de l'Empereur a été placé devant la statue de Napoléon en costume du Sacre, par Simart, une statue de deux mètres soixante de hauteur.
Les deux prisonniers sont enfin réunis...
Dans une de ses lettres, le duc de Reichstadt écrivait à sa mère : "En vérité, j'ai le triste présentiment de mourir sans sans avoir reçu le baptême du feu. J'ai déjà pris mon parti pour ce terrible cas. Alors, j'ordonnerai dans mon testament de conduire mon cercueil dans la première affaire qui se donnera, afin que mon âme ait la consolation, dans quel (que) séjour, qu'elle se trouve, d'entendre siffler autour de ses os les balles qu'elle a si souvent souhaitées".
Dans la petite cella des Invalides, l'Aiglon n'entendra pas siffler les balles...Mais sur les murs se trouvent gravés les noms prestigieux des victoires remportées par son père.
(CASTELOT)