garde impériale
Nombre de messages : 19 Date d'inscription : 19/10/2009
| Sujet: L’Enfant de Noël”- Ven 18 Déc - 12:25 | |
| L’Enfant de Noël”- Extrait des « Souvenirs » du capitaine LETOURNEUX…
Nous étions le 24 décembre 1816. Depuis plusieurs mois déjà, l'Empereur était captif sur son rocher. Il m'arrivait de retrouver mes anciens compagnons d'armes de notre bonne ville d'Epernay, en Champagne, au Café de la Poste, situé sur la place des boucheries.
Certains évoquaient le temps jadis, nos campagnes, tout en lisant « Le Constitutionnel » et en repérant les policiers à la solde du pouvoir royal qui ne manquaient jamais de comptabiliser les ex-officiers du « Corse ». Nous étions surveillés. Ce jour-là, la neige commençait à tomber en gros flocons sur les vignes dénudées. Je ne pouvais rien faire à l’extérieur à part couper un peu de bois. Mes enfants jouaient avec leur mère. Je me dispensai de cette corvée et me voilà en route pour Épernay espérant retrouver une ou plusieurs figures amies dans mon estaminet habituel. De Monthelon (mon village) à Épernay, il y a un peu plus de quatre lieues ; ce qui ne pose pas de problème en temps normal, mais avec cette neige…
Je parvins néanmoins dans un délai raisonnable jusqu’en haut de la Grand ‘Rue. Les flocons se faisaient plus denses. Je gare mon coupé et décide de poursuivre à pied. Lorsqu’arrivé au coin de la rue de la Tour-Biron, j’entends comme un miaulement. Je pense à un chat ou à un quelconque animal et continue mon chemin. A nouveau, le même cri résonne. Je fais demi-tour.
Et je vois comme une sorte de grand panier posé le long du mur de la maison bleue (une demeure appartenant à des cousins par alliance de ma femme Olivia). Au milieu de ce panier, une chose bougeait, s’agitait, hurlait: j’avais devant moi un bambin tout empenaillé qui pleurait à chaudes larmes.
C’était une petite fille de quelques jours seulement. Je dois avouer que j’étais comme tout embêté devant une telle découverte. Je prends la petite dans mes bras, fouille rapidement le panier à la recherche d’un quelconque indice, un mot, je ne sais point, quelque chose expliquant la présence de ce nourrisson ici. Rien ! Et me voilà parti, un peu ému, avec cette « louisette » dans les bras. La petite était glacée. Je la glissai sous ma redingote et lui entourai la tête de ma cravate. Pour tout arranger, il commençait singulièrement à faire froid et la neige ne s’arrêtait point.
Quelle ne fut pas la surprise des mes camarades du Café de la Poste me voyant débarquer avec cet enfant…Les questions fusèrent tels ces boulets que nous avions pris autrefois lors de la bataille de Mont-Saint-Jean… Marcas, un de mes amis, qui s’y connaissait un peu en médecine, tâta le pouls de la petite. Elle était faible, s’évertuant à pleurer… Il fallait agir rapidement. Madeleine, la patronne, fit une grande quantité d’eau chaude. Ce faisant, elle baigna la petite tout doucement dans une cuvette afin de la réchauffer… L’enfant se calma un peu ; et nous, vieux briscards, nous étions attentifs au moindre de ses gestes. Attendris ? Peut-être.
Léon, le tenancier de notre Café fit du vin chaud ; une de ces recettes dont il a le secret, ajoutant au passage ce qu’il faut de clous de girofles, de cannelle et d’écorces d’orange.
Pendant, ce temps, la petite, que nous appelions déjà entre nous « L’enfant de Noël », fut frottée énergiquement par la patronne avec de l’Eau de Cologne.
Elle reprenait des couleurs lorsque Madeleine l’apporta parmi nous dans la grande salle. Je me souviens de la couleur de ses petits yeux : un mauve très clair, une couleur comme je n’en avais jamais vu ; des petites boucles rousses entouraient son visage laiteux. Madeleine, lui donna quelques cuillères de vin chaud. Plus un bruit ne se faisait entendre dans notre café. Un grand sourire apparut sur ses lèvres.
Elle revivait.
Qui était cette petite ? D’où était-elle ? D’Épernay ? D’ailleurs ? Autant de questions sans réponses. Et elle n’avait pas de prénom. Il lui en fallait un. Mon camarade Rognet, que j’avais connu en Espagne, était le plus vieux d’entre nous. A lui, revint le privilège de cet honneur. Notre Rognet prit un ton méditatif… Nous le regardions tous d’un air curieux, attendant son choix.
-« Napoléone ! » s’exclama-t’il.
« Et pourquoi pas Noëlle » tout simplement, renchérit Marcas. S’en suivit un débat au cours duquel les avis divergèrent fortement. C’est Madeleine, qui départagea tout le monde. «Choisissons en premier prénom Noëlle, puisque cette petite a été trouvée en cette veille du 25 décembre, et… Napoléone en hommage au plus grand homme que la terre ait porté, et qui se meurt tout là-bas sur l’île Sainte-Hélène ».
Un hourra général répondit à ce choix La petite qui était de nouveau pleine de vie, fut portée en triomphe. Chacun de nous, voulut déposer un baiser affectueux sur ses joues colorées par le vin chaud. Pour ma part, j’eus un geste spontané que remarquèrent mes frères d’armes : J’avais depuis longtemps autour de mon cou une petite médaille en or à l’effigie de l’Empereur. Je la détachais et quand on m’apporta Noëlle, je la lui passais autour de son cou.
«Que le grand Napoléon veille sur toi ma petite !». Un applaudissement s’en suivit ce qui ne manqua pas de me gêner, moi, le vieux capitaine, un peu mal à l’aise en société.
La petite Noëlle fut placée sous la protection de Monsieur le Maire d’Épernay et placée dans une famille de la ville. Je la voyais souvent, et quoiqu’ayant déjà deux enfants, je la considérai comme ma fille. Quand Noëlle se promenait dans notre ville, et qu’elle croisait l’un d’entre nous, elle ne manquait jamais de venir nous embrasser.
A vingt ans, elle épousa un riche négociant en vin de Champagne et partit s’établir à Châlons où elle fonda une famille. Je la revis par hasard, lors d’un jour mémorable. A Paris, le 15 décembre 1840, il faisait encore plus froid que ce 24 décembre 1816. J’avais fait le voyage avec Olivia. Nous étions postés sur le bord des Champs-Élysées, perdus dans la foule qui rendait un dernier hommage à l’Empereur. Tout à coup juste à côté de nous se tourne une femme aux yeux mauves et aux cheveux roux, toute emmitouflée (on peut le comprendre avec cette température). C’était Noëlle.
Elle nous présenta son époux. Le soir nous dinâmes tous les quatre sur les boulevards, évoquant mon heureuse découverte. Je remarquai qu’elle portait autour de son cou la petite médaille en or que je lui avais offerte il y a si longtemps. Nous nous quittâmes, nous promettant de nous revoir bientôt à Châlons. J’ai appris récemment qu’elle venait d’être accouchée de son troisième enfant et qu’elle l’avait surnommé Napoléon…”
LETOURNEUX Maurice, capitaine en demi-solde(L'estafette) | |
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