Tribunat, séance du 29 floréal an 10.
"L'ordre du jour appelle un rapport sur le projet de loi relatif aux colonies.
Le citoyen Adet : le sort des armes avait fait tomber au pouvoir de la Grande-Bretagne plusieurs de nos colonies, à une époque où la révolution n'y avait pas encore confondu toutes les conditions. Sous la puissance de l'Angleterre, elles ont conservé leurs anciennes institutions ; et au moment où la paix devait les rendre à la mère-patrie, frappées des affreux désastres de Saint-Domingue, elles n'attendaient pas sans crainte un évènement que, dans d'autres temps, elles eussent appelé de tous leurs vœux. Telles sont les considérations qui ont déterminé le gouvernement à émettre le projet de loi dont votre commission spéciale me charge de vous présenter l'examen. Il est des améliorations que l'humanité et la philosophie réclament, et que la politique ne peut tolérer. L'Europe est une grande famille dont chaque partie est astreinte à ce qui intéresse la conservation de toutes les autres. Sans doute, chacune d'elles a le droit de faire dans son sein tout ce qui peut accroître sa prospérité ; mais tout ce qui tend à compromettre les intérêts, le repos et la prospérité des autres parties de la grande famille, lui est interdit.
C'est bien assez que Saint-Domingue manque aujourd'hui au commerce français, sans qu'il perde encore les ressources qu'il peut attendre de nos autres colonies, et quelque fortement que s'élève la voix de la philosophie et de l'humanité contre l'esclavage des nègres, tribuns, pensez-vous que les hommes plongés encore dans les ténèbres de la plus profonde ignorance et des ignorances, puissent passer brusquement de l'esclavage à la liberté, avec cet esprit de sagesse et de conservation qui peut seul garantir les fruits, lorsque dans le pays le plus civilisé, dans le siècle le plus éclairé, nous avons vu au milieu de nous des hommes confondre les excès de la liberté et les cruautés de la tyrannie, avec le droit sacré ? L'orateur démontre par de nouveaux développements sur le rapport des colonies avec la métropole, et des colonies entre elles, que l'état actuel des choses, le projet règle de manière la plus avantageuse au commerce, à la France et à la sûreté des autres colonies européennes, le régime auquel seront assujettis celles qui nous sont rendues par le traité d'Amiens. Il propose en conséquence l'adoption du projet. –Impression.
Aucun orateur n'étant inscrit, le projet est mis aux voix et adopté à la majorité de 54 contre 27."
(Journal des débats, jeudi 20 mai 1802)
Corps législatif, séance du 30 floréal an 10.
"L'orateur du gouvernement, Bruix, succède à l'orateur du Tribunat : pour adoucir le regret que lui fait éprouver la dure nécessité de maintenir des hommes dans un état servile ; il rappelle que les Spartiates avaient leurs ilotes ; il cherche à s'étourdir en remarquant que les peuples libres, sont jaloux de leurs prérogatives, mais qu'ils ont aussi leur égoïsme.
Regnault, autre orateur du gouvernement, prend la parole. Il fait connaître les intentions du gouvernement pour la prospérité des colonies. Il rappelle que c'est à l'époque où l'on égarait en France les idées sur les nègres, que Willeberforce proposait en Angleterre de supprimer la traite des nègres, bien sûr que l'opinion ne s'écarterait pas à Londres, mais qu'elle s'écarterait à Paris. Cependant, l'assemblée constituante fut inébranlable. Elle déclara qu'il ne serait rien changé à l'état des personnes des colonies, elle consentit seulement à donner le titre de citoyens aux enfants nés de pères et mères libres. L'orateur retrace ensuite les funestes effets des décrets qui furent pris depuis en sens opposés à l'opinion de l'assemblée constituante.
Puis il envisage la question sous le rapport du commerce, qui ne peut exister sans les colonies, et ne serait qu'un misérable cabotage. Sans colonies, on n'aurait point de marine marchande, qui deviendrait militaire, au moment où la guerre éclate.
L'intérêt de l'humanité est une autre considération que l'orateur approfondit. L'intérêt des noirs !... Faut-il sacrifier une minorité composée de nos amis, de nos frères, à une majorité d'hommes féroces ? Eh ! Que peut-on en attendre ?... Jetez vos regards sur les ravages exercés par eux à Saint-Domingue, et vous aurez la conviction que l'intérêt de l'humanité, ainsi que l'intérêt du commerce, réclament, citoyens législateurs, votre sanction au projet de loi qui vous est soumis. –Impression du discours. –On fait l'appel nominal : le projet est adopté par 211 voix contre 63."
(Journal des débats, vendredi 21 mai 1802)
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